Tout part d’une citation que j’ai lu il y a quelques jours sur un groupe facebook : « Le rapport mathématique entre les ailes et le poids du bourdon nous démontre que voler lui est impossible mais le bourdon l’ignore, c’est pourquoi il vole. » Il volerait donc juste parce qu’il a décidé qu’il pouvait le faire, défiant ainsi les lois de la physique. Le bourdon serait alors porteur d’un magnifique message d’encouragement, à l’instar de cette autre célèbre citation de Mark Twain : « Ils ignoraient que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Mark Twain et le bourdon, même combat ? Tout ça m’a fait penser aux croyances limitantes, et à leur implication dans la vie des autistes. Parce oui, on passe tous beaucoup de temps à entendre ce qu’on ne pourra jamais faire/mal faire/même pas envisager d’y penser et trop peu à entendre ce dont on est réellement capable. Mais au nom de quoi ?
Le bourdon n’est plus adapté au vol que les autistes
Mathématiquement parlant, le bourdon ne peut pas voler : son corps est trop gros par rapport à ses ailes. Il lui est impossible de soulever sa masse et de s’élever dans les airs avec ces attributs aussi inadaptés. Un peu comme les autistes quoi 😉
Nous non plus nous ne sommes pas conçus pour « fonctionner correctement ». Ni pour répondre à une norme, qu’elle soit mathématique ou sociétale. Pourtant, tout comme le bourdon, tous les jours nous volons au-dessus des préjugés, des attendus, des a priori, des stéréotypes. Parce que la nature est quand même vachement bien fichue, elle nous permet de compenser nos différences.
Le bourdon utilise le battement d’aile à haute fréquence : il bat des ailes environ 100 fois par seconde, ce qui lui permet de créer un mouvement d’air en tourbiller, de décoller puis de voler tranquillement. Pour les personnes autistes, c’est le cerveau qui met en place des mécanismes de compensation pour (sur)vivre au mieux. Et si les accompagnements nécessaires sont mis en place assez tôt, il n’y a aucune raison pour que cela ne fonctionne pas !
Pourtant, un phénomène social vient mettre des bâtons dans les roues à l’intégration des personnes en situation de handicap.
Le validisme
Un gros mot. Mais oui, le validisme existe bel et bien, il est théorisé depuis les années 70 aux Etats-Unis avec l’ableism. Et c’est un handicap supplémentaire pour toutes les personnes qui ne rentrent pas dans la norme. Ce n’est pas toujours fait exprès, il y a même souvent beaucoup de bonne volonté derrière. Mais qu’est-ce que c’est ? et surtout, pourquoi il crée de toutes pièces des croyances limitantes chez les personnes autistes (et les autres !) ?
Qu’est-ce que le validisme ?
Il s’agit d’une analyse de tous les rapports sociaux uniquement via le prisme du handicap. Le collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE) pose même dans son manifeste la définition suivante : « Le validisme se caractérise par la conviction de la part des personnes valides que leur absence de handicap et/ou leur bonne santé leur confère une position plus enviable et même supérieure à celle des personnes handicapées ». Cool, hein ? En découle l’idée qu’il faut « réparer » ou « rééduquer » les personnes ne correspondant pas à « la norme des valides ». La liste est longue : personne en situation de handicap, qui n’ont pas le bon diplôme, la bonne orientation sexuelle, etc. Oui, ils vont très loin dans la connerie🙄. Et donc, c’est à ces personnes qui ont l’outrecuidance de défier la norme de « faire des efforts » pour s’adapter, ou au moins, qu’on les voit pas trop.
Le validisme est un large spectre, qui va de faire preuve d’une compassion extrême à la survalorisation du handicap. Mais il pose surtout un problème d’exclusion (c’est dommage dans une société dite inclusive 🙄) à la fois actif et passif :
- Les personnes « non conformes » sont cantonnées à la périphérie de la sphère sociale et même des décisions les concernant, avec pour conséquence une certaine précarisation. Vous savez, cet accès à l’emploi de seulement 0,5 % des personnes autistes…
- Et en même temps, ces personnes exclues intègrent complètement cette idée qu’elles sont « moins » quelque chose. Qu’elles sont inférieures au groupe « valide ». Elles adoptent alors exactement le comportement que ces fameux valides leur attribuaient dès le départ, à savoir : enfermement dans une vie conforme à l’image négative, reconnaissance au moindre signe d’intérêt de la part des valides, ou au contraire, besoin de prouver sans cesse qu’elles méritent leur place, sentiment de devoir se battre pour avoir le droit d’exister. Si ça c’est pas un effet pervers !
L’impact du validisme dans l’autisme
« Fais un effort », « tu pourrais sortir de ta bulle », « arrête de t’écouter », « t’as toujours pas ton permis ? » « C’est quand même pas compliqué de lacer ses chaussures », « Ca demande pas un effort surhumain de m’accompagner faire les courses ! » « il suffit de se bouger un peu pour (peu importe l’activité) », etc. Vous les avez déjà entendue toutes ces jolies phrases qui sous-entendent que le problème, c’est vous ? Bah voilà, bienvenue en Validerie.
Les difficultés des personnes autistes sont diminuées, voire dénigrées ou moquées, parce qu’une personne valide n’aurait aucun problème à réaliser ces tâches. Et c’est là l’essence même du problème. L’estime de soi s’égratigne à chaque petite phrase à l’apparence anodine prononcée. Au fil des année, elle est grignotée par un tas d’injonctions ou sous-entendu que VOUS, vous n’êtes pas capable. Là, vous êtes plus proche de la libellule qui se prend pour un bourdon qui lui même ne peut théoriquement pas voler.
Conséquence du validisme dans l’autisme
Vous êtes du coup persuadé que vous n’êtes pas adapté, incapable de faire les choses « normalement » et que c’est un problème. Alors que si on sort du validisme, vous pouvez vous rendre compte que vous recelez mille trésors ! (parce qu’il m’a peut-être fallu 8 ans pour obtenir mon permis, mais j’ai appris et maîtrisé le Russe en 7 mois, na😛). Votre entourage même est coincé dans ce schéma qui part d’une bonne intention (dont l’enfer est pavé !) Bon, concrètement, comment on fait ?
Les croyances limitantes
Une croyance limitante, c’est quelque chose que vous êtes intimement persuadé de ne pas être capable de faire et qui du coup, vous freine au quotidien et réduit votre estime de vous. Par exemple, pendant très longtemps, j’ai été convaincue que je ne pouvais pas avoir mon permis de conduire. Que j’étais trop bête pour apprendre à faire un truc que des millions de personnes savent faire. Je crois encore aujourd’hui que je suis incapable de me faire des amis, et que par conséquent, je suis vraiment inintéressante. Et le diagnostic d’autisme est venu renforcer cette croyance. Alors qu’en fait, il explique juste pourquoi c’est absolument pas naturel pour moi d’aller vers les autres, et pourquoi tout le monde n’est pas passionné par la linguistique ou la psychopathologie des tueurs en série 🤷♀️
L’histoire du bourdon est une métaphore exacte de ce qui se passe quand vous laissez tomber ces croyances limitantes. Si vous ne savez pas si vous pouvez le faire, faites-le ! On s’en fout de ce qu’en pensent les autres
Les croyances limitantes dans l’autisme
Des croyances limitantes liées à l’autisme, il y en a des caisses. Et elles sont souvent liées à des sujets bien plus terre à terre que chez la majorité des neurotypiques.
Je vois tous les jours des questions sur la capacité à fonder une famille, à être en couple, à trouver un travail, à se faire des amis, ou même, à avoir une place dans la société « parce que je sers à rien ». Alors oui, c’est certainement plus difficile pour nous, autistes, de réaliser certains de nos objectifs, mais c’est rarement impossible ! Et puis rien ne dit que ça doit être fait d’une seule et même façon. Contrairement aux idées reçues, je trouve que les autistes sont très créatifs. Peut-être devient-on des ninjas de l’inventivité parce qu’on doit sans cesse s’adapter à 1000 petits détails au quotidien ?
Pourquoi les autistes ont plus de croyances limitantes que les autres ?
Interrogez-vous sur le fondement de ces questions. Pourquoi êtes vous persuadé que ce n’est pas possible, ou pire, que vous n’y avez pas droit ? Dans 70 % des cas, les réponses sont du style : « les médecins m’ont dit que les femmes autistes ne doivent pas avoir d’enfant / elles sont incapables de les gérer / ça fait de mauvaises mères, etc. » (mais WTF ??!), « on m’a toujours dit que je ne pouvais pas être autonome », « les autistes ne sont pas capable d’aimer », « si j’essaie, ce sera moins bien que ma mère/mon père/la tante du voisin ». QUE des réponses basées sur les croyances d’autres personnes. Lesquelles ? Je vous le donne dans le mille : les personnes « valides ». Aussi bienveillantes soient-elles pour beaucoup.
Pour les 30 % restant, il y a parfois des contraintes liées au handicap bien sûr. Souvent un manque d’informations aussi. Sur ce qui peut réellement être fait, comment être accompagné, les dispositifs de réhabilitation psycho-sociale ou d’accompagnement à l’emploi. Et évidemment, un manque de confiance en soi qui interfère de manière assez systématique.
Comment pulvériser ses croyances limitantes ?
Mon conseil ? Pensez à Sheldon Cooper (ou à Sam Gardner, mais c’est moins flagrant). S’il a réussi à avoir un job, des amis, un appart’, une femme et un prix Nobel, vous pouvez aussi tout réussir 😂 Plus sérieusement, il existe plusieurs méthodes pour se libérer de ses croyances limitantes, je vous donne celle de mon ancienne psychologue :
- Prendre conscience de votre croyance limitante (une à la fois c’est très bien) ;
- Utiliser la méthode Couet. Vous savez, cette méthode d’autosuggestion positive : « je suis capable de XXX, je sais faire XXX, je peux XXX, etc. (ne fonctionne pas avec Je suis Beyoncé, Je suis Beyoncé, Je suis Beyoncé 😂) ;
- Visualiser votre objectif (vous réussissez comme un chef cette belle recette de lasagnes aux courgettes, vous obtenez votre permis, vous êtes à l’heure à votre rdv, etc.) ;
- Sortir de votre zone de confort petit à petit. C’est le moment d’être créatif ! Ce sont plusieurs petits pas qui vont vous permettre de sortir complètement de votre zone de confort. Si votre objectif est, je ne sais pas, de partir 15 jours aux Maldives, commencez par dormir une nuit en dehors de chez vous, puis partez un weekend. Allez ensuite un peu plus loin, un peu plus longtemps, prenez l’avion pour une destination plus proche peut-être ! L’idée, c’est d’y aller à votre rythme, sans perdre de vue votre objectif (vous vous voyez là, en train de manger vos coquillettes au beurre sur la plage ? vous sentez les embruns et le soleil ? oh, une tortue de mer ! parfait)
- Faire comme si vous saviez déjà le faire ! à l’aise, vous êtes déjà un grand voyageur ! Comme le bourdon, vous l’ignorez juste 😉
Quelques autistes qui savent voler
Un peu compliqué cet article, non ? J’étais partie sur un truc léger et je me suis laissée emportée 😂
Pour finir sur une note positive, voici une petite liste de personnes autistes qui n’ont pas eu peur de voler « malgré » le handicap :
- Temple Grandin, évidemment ;
- Susan Boyle, qui a du surmonter bien des obstacles pour oser se présenter sur la scène de Britain’s Got Talent ! ;
- Anthony Hopkins, qui a donc su exprimer tout un tas d’émotions sur grand écran et avoir une carrière exceptionnelle ;
- Hugo Horiot, qui joue devant des spectateurs, il a fondé une famille, et a réussi à « gommer » les signes visibles de son autisme sévère notamment grâce à son alter ego (je vous conseille son livre L’empereur, c’est moi, il est excellent !) ;
- Greta Thunberg.
Bien que la capacité à voler du bourdon a depuis été expliquée par Charles Ellington, professeur de mécanique animale de Cambridge, cette citation demeure un chouette message plein de positivité 😊
Un article plein d’espoir ! J’adore cette anecdote sur le bourdon et son incapacité théorique à voler. Je l’avais déjà entendu, comme quoi la science était catégorique et que personne ne s’expliquait cette incohérence mécanique. Le parallèle que vous faites avec les croyances limitantes du monde des autistes est très bien trouvé ! Un article plain d’espoir je répète ! Merci
Merci beaucoup Nicolas 😊