…
Mon Cher Freud,
Depuis plusieurs mois (plusieurs années en fait), je suis confrontée à l’autisme. Et indirectement à la psychanalyse. Et tu sais quoi ? Il paraîtrait que c’est de ma faute ! Après tout, la mère est la base de tout ce qui ne va pas chez un enfant, non ? Je pense que j’ai à peu près tout entendu ces 6 derniers mois :
- je suis trop stressée, ça crée des angoisses chez mon fils ;
- l’allaitement a créé une dépendance et un sentiment d’attachement trop fort ;
- je suis trop présente. Ou pas assez à l’écoute. Ou trop attentive ;
- j’ai repris le travail trop tôt. Ou trop tard, ça dépend des pro, mais en tout cas, jamais quand «il faut» ;
- je SOUHAITE au fond de moi que mon fils soit autiste pour ne pas avoir à m’en détacher (alors là, je peux te dire que je me suis carrément épatée en matière de self-contrôle !) ;
- ma grossesse n’a pas été un long fleuve tranquille emplit de poussière de fée et de pets de licorne ;
- et tout un tas d’autres conneries.
Tout ça me met en colère Sigmund ! Tu n’as pas idée à quel point. Je te pardonne encore toutes les inepties que tu as pu écrire, à ton époque les neurosciences existaient-elles seulement ? Mais tu verrais tous les progrès que nous avons fait en un siècle ! Tout ce que nous avons découvert sur la construction et le fonctionnement du cerveau de l’enfant. Nous en savons à la fois tellement et tellement peu ! C’est vertigineux. Et notamment en matière d’autisme et de psychanalyse.
On sait qu’il y a des marqueurs génétiques et qu’il est inné : on naît autiste, on ne le devient pas (je t’épargne le délire d’Andrew Wakefield sur les vaccins qui causeraient l’autisme, je pense que même toi tu trouverais ça ridicule !). Nous savons aussi qu’il y a une multitude de formes d’autisme, du plus léger au plus lourd, avec ou sans déficience mentale. Les autistes sont finalement comme tout le monde : uniques, avec leurs propres caractéristiques. Ils représentent juste un groupe qui appréhende l’environnement différemment de toi ou de moi.
Pourtant en 2021, la psychanalyse en France a encore de beaux jours devant elle.
Tu parles d’un trouble envahissant du développement de la psychiatrie ! Quelle ironie, hein ! Alors que la plupart des pays prônent une approche psycho-éducative, nous en sommes encore à ériger Françoise Dolto comme référence en matière d’autisme. D’ailleurs, chaque rendez-vous que nous avons eu chez un psy-quelque chose (neuropsychiatre, pédopsychiatre, psychologue, etc.) a commencé invariablement par les mêmes questions :
- «Vous l’avez allaité ? Combien de temps ?»,
- «Quelles relations avez-vous avec votre fils ?»,
- «Vous travaillez ?»,
- «Votre fils vous voit-il nue ?»
- «Comment vivez-vous cette situation ?»,
- «C’est difficile pour vous de vous détacher de votre fils ?»,
- etc.
Des questions qui pourraient éventuellement sembler légitimes pour faire un peu l’état des lieux de la situation. Mais qu’on a JAMAIS posé à mon mari (bon ok, l’allaitement, il n’aurait pas pu répondre). Nous avons même rencontré un psychiatre réputé dans notre région qui n’a jamais adressé la parole à notre fils, qui n’est jamais resté seul avec lui et qui nous a pondu un beau courrier expliquant que l’autisme était causé par un Œdipe trop prononcé entretenu par le trouble anxieux de sa mère empêchant sa construction. Et que l’autisme sera guérit quand il trouvera sa place dans la société. C’est pas beau ça, Freudy ? Une belle gestion de l’autisme par la psychanalyse ! Tu me diras, c’est tellement plus facile que de s’arrêter sur toutes les difficultés sensorielles et relationnelles des autistes.
La mère, à l’origine de tout
Tu as cependant raison sur un point : c’est effectivement moi qui ai porté, «fabriqué», nourri et mis au monde cet enfant. Comme toutes les mères du monde. Et nous le faisons à la perfection, parce que nous savons déjà que nous portons en nous l’extraordinaire. Mon accouchement, mon environnement ou mes choix (à part peut-être celui de son père) n’ont pas causé l’autisme de mon enfant, qui n’est pas malade d’ailleurs. Il est merveilleux, et sa façon de voir le monde est unique et enrichissante.
Bref, si tu me lis quelque part (les voies de Google sont-elles aussi impénétrables que celles du Seigneur ?!), explique à tes héritiers de 2021 qu’il faut cesser d’incriminer les mères pour tout ce qui va de travers ! Leur condition n’en font pas des maniaques, des dépressives, des manipulatrices ou des hystériques. Ce sont juste…des femmes. Dis-leur que toutes ces conneries n’ont pu lieu d’être tellement nous avons découvert de choses sur l’autisme. Que ce sont des scientifiques bordel, l’évolution des connaissances devrait primer sur leurs pseudo-convictions psychanalytiques, non ? Est-ce que les généralistes font toujours des saignées pour tout et n’importe quoi ? Ben non, ils prescrivent des médicaments, parce que la médecine a évolué. Pareil pour l’autisme et la psychanalyse.
Les mères sont déjà bien souvent démunies face aux troubles de leurs enfants, il n’y a pas besoin d’en rajouter. Je peux te dire que nous culpabilisons déjà. Toutes. Parce que même si nous savons que nous n’y sommes pour rien, toutes ces petites phrases assassines entendues au détour d’un rendez-vous chez le psychiatre, chez le neurologue ou chez le psychologue frayent leur chemin insidieusement dans notre tête. Ce doute ne devrait pas exister aujourd’hui, et le corps médical ne devrait pas le créer. La psychanalyse n’a pas sa place dans l’autisme.
Ah, et si tu peux leur dire aussi que les thérapies comportementales sont nettement plus efficaces que de shooter des enfants de 6, 8 ou 12 ans aux anxiolytiques, aux antidépresseurs et autres cures psychanalytiques, ce serait vraiment cool, mais c’est une autre histoire.
Bisous !
Retour de ping : Les 7 commandements du parent d'enfant autiste - Happy Autisme
Retour de ping : Idées Reçues sur l’Autisme | Le Top 10 -Happy Autisme
Ah la mère, mère de tous les maux mais bien souvent jamais des réussites non plus. Ce serait intéressant d’analyser la relation de Freud à sa mère, n’aurait-il pas fait un transfert en travaillant son approche de la psychanalyse dont il est le père ?
En effet, de nombreuses études à l’étranger et même à quelques pas de nous, en Europe, prouve, atteste, démontre que l’autisme est inné et n’est pas une maladie mentale. Alors ma question ne s’adresse pas qu’à Freud, mais à tous les psy de France : comment pouvez-vous exercer sans curiosité ? Sans remettre en question vos connaissances, qui, nous le savons, quelles que soient les sciences, évoluent, au fur et à mesure des études ? Est-on vraiment un professionnel lorsqu’on se couche sur ses acquis, lorsqu’on ne se renseigne pas sur ce qui se passe ailleurs ?
Merci pour cet excellent article.